La présentation dans La Vitrine de la lettre de Stanislas Amand à un
clochard est prolongée jusqu’au 20 mars prochain. L’occasion de
remercier encore les 75 personnes venues le 28 février dernier
participer au vernissage
et qui ont pu, à la suite d’un dialogue avec Nicolas Feodoroff,
assister à la lecture de la lettre par S.A. accompagné à la guitare
basse par Emmanuel Corbier.
Rarement La Vitrine n’avait à ce point rempli son rôle d’interaction
avec l’espace public, la lettre questionnant précisément la visibilité
de ces “échoués” en s’adressant à l’un d’eux, Ravi, Sri-Lankais arrivé
en France il y a quelques années ayant élu domicile devant les locaux de
la SFP. La lettre, visible et lisible de jour comme de nuit, fait
parler les habitués de la rue de Richelieu comme les passants
occasionnels. Elle produit un lien entre les archives photographiques de
la SFP et la rue, questionne là et maintenant le rôle et le statut de
l’information et s’actualise en permanence suivant la présence ou
l’absence de Ravi à proximité.
Après la publication de Lettres à une galeriste, Stanislas Amand poursuivra cette interrogation par l’édition prochaine aux éditions Art-Hopitaux Universitaires de Genève de Lettres à un médecin.
En guise de préambule nous publions ici un texte que nous a aimablement
communiqué Nicolas Feodoroff, critique d’art et cinéma et programmateur
au Festival International de cinéma. Affaire à suivre.
A comme Archive ; D comme Document
Il est avant tout question dans ce travail du regard porté sur des archives constituées et non d’un archivage proprement dit, même si Stanislas Amand conserve quelques images. Que ce soient les archives médicales comme les collections d’objets, notre attention est tournée vers des productions remplissant le plus souvent une visée pratique : photographies de diverses pathologies, accessoires de soins. S’y attarder permet de dévoiler la valeur esthétique des images comme des objets, un geste qui est pleinement revendiqué et qui s’inscrit dans une dialectique document/objet esthétique qui a une longue et riche histoire depuis l’invention de la photographie. Avec Stanislas Amand, le document tend à devenir une sorte de monument témoignant d’une histoire secrète des formes, une sorte de réceptacle. Par le choix des images retenues, qui sont teintées de nostalgie, Stanislas Amand, plus intempestif, fouille notre fascination pour ce qui fait déborder l’image d’elle-même, nous touche au plus intime, hors des ses rôles circonscrits comme de ses significations balisées. Ce qui nous rapprocherait de ce qu’Arlette Farge, nomme le goût de l’archive, au delà de l’opposition d’un regard historique analytique à une perception purement esthétique.
P comme Peau ; S comme Surface
Parmi les images retenues, on est frappé par la forte intensité dramatique et la charge d’affect des images liées aux pathologies dermatologiques. On a pu parler de la photographie comme peau du temps. Certes. Aussi a-t-on pu parler d’elle comme de la peau du monde, les images effetuant autant un recouvrement qu’elles dévoilent des formes. Ainsi la photo produirait un espace singulier sans dedans ni dehors. Ici la peau photographieé est rendue à sa trivialité et dans le dégoût qu’elle peut susciter. Image des malades, où l’on sent la lutte inégale entre l’individu et sa pathologie. D’une surface qui s’exhibe comme telle et s’affirme, nous voilà défait de toute possibilité de profondeur, rejetée au loin, inaccessible, en fait refusée. Le point de départ : la planéité d’un corps-emblème, la photographie comme surface d’inscription d’un corps rendu à sa pure surface. Ce mouvement entre le dedans et le dehors renvoie à une question qui a tant agité les esprits : la tendance assignante de la photographie, qui dans sa propension à désigner plus qu’à expliquer, ne serait peut-être qu’affaire de surface, sinon de superficialité ou de leurre.
D comme détail ; O comme Opération
En peinture nous rappelle l’historien de l’art Daniel Arasse, le terme de détail désigne à la fois une manière locale de de peindre, une touche de couleur singulière, et un fragment iconographique. Le détail au sens premier, dettaglio, a souvent pour effet de défaire le sens et la stabilité de la représentation. Dans son attention aux détails, Stanislas Amand pourrait sembler fétichiste. En fait, plutôt que d’aborder certaines notions frontalement, il s’agit pour lui ici d’en déployer les facettes, par le détour d’un objet apparement anodin. Un travail qui s’apparente à celui d’un géologue qui opère une coupe pour faire ressortir les strates. Défaire les couches liées à un regard enserré dans ce que sous entend sa discipline (la médecine, les outils…) pour ensuite en déployer tout un champ d’implication, ouvrir le regard. Marcel Duchamp, dans un autre contexte parlait d’art comme opération. Ici opérer serait découper, isoler, changer de perspective.
O comme Œil ; R comme Radio
De l’œil à la radiographie, se joue toute une part de l’approche photographique comme outil du visible dans sa visée tant esthétique que scientifique. Ce qui fait que l’image photographique est considérée parfois comme un espace où le regard dans sa froide mécanique se trouve absolutisé. A cette aune, l’image radiographique en serait la quintessence, redoublant sa part technique qui a tant fait couler d’encre dès le 19ème siècle. De fait, la radiographie signale une aporie : d’un même geste, elle attribue au visible son pouvoir de dévoilement tout en rappelant que le monde ne peut se percevoir et se concevoir par les seuls espaces de visibilité. D’où notre fascination pour ces images. Aller voir au-delà du visible pour s’assurer de la faillite du visible. Facétie de Stanilas Amand qui donne un tour de plus à cette spirale infernale, nous menant dans l’espace de l’invisible par excellence, l’inconscient, avec une radio du supposé crâne de Freud.
Nicolas Feodoroff